Coup de gueule Micheline Lanctôt

L’insurgée

Son dixième long métrage, Autrui, traite de manière crue de solitude et d’itinérance. La cinéaste et comédienne Micheline Lanctôt, que l’on peut voir dans la populaire émission Unité 9 à Radio-Canada, n’a jamais craint les sujets délicats ou controversés. Rencontre avec une artiste qui n’a pas peur des mots.

Ton film a provoqué des réactions virulentes, notamment de la part de la critique. On aime ou on déteste. Tu polarises les points de vue. Pourquoi, selon toi ?

Je laisse toujours énormément de place à l’interprétation dans mes films. Il y a des gens qui ne sont pas à l’aise avec ça. Qui aiment mieux qu’on leur dise quoi penser, comment penser, quoi regarder. Je ne sais pas s’ils m’en veulent ou s’ils sont frustrés quand ils sortent du film parce que je ne donne pas de réponses. Je n’ai jamais fait l’unanimité, alors je ne m’en inquiète pas. Mais le phénomène m’intrigue.

Tu es habituée à une réaction aussi vive...

La plupart de mes films ont eu cet accueil-là. Chaque fois que j’ai touché à un sujet « social », j’ai été prise dans une controverse ou le film a fait naître des controverses. Je trouve ça bien, au demeurant. C’est juste un peu difficile de se situer par rapport à ça comme artiste.

Ça te rassure, d’une certaine façon ?

Je me méfie beaucoup de l’unanimité. Des films que l’on reçoit de façon unanime disparaissent généralement après deux ou trois ans. Ils sont dans l’air du temps. Les gens aiment ça. Mais ils n’ont pas de longévité. Même s’il faut que je me défende chaque fois, cette réaction, c’est le signe que le film touche à quelque chose d’important. Pour moi, c’est toujours gratifiant, peu importe la forme que ça prend. Les gens qui haïssent vraiment mes films doivent être touchés d’une manière ou d’une autre.

La majorité des gens ne vont pas voir tes films. C’est le prix à payer lorsqu’on choisit de mettre en scène ce genre de sujet ?

Je sais que je vais nécessairement perdre un certain nombre de spectateurs. Depuis Sonatine, c’est la même histoire. Je ne peux rien y faire. J’aimerais que les gens comprennent que faire un film, pour moi, c’est quatre à cinq ans d’efforts intenses et de lutte acharnée. Je ne peux pas mettre ces efforts-là sur n’importe quoi. Il faut que j’aie une motivation sérieuse pour faire un film. Habituellement, c’est une indignation ou une colère ou un agacement à propos de choses qui viennent me chercher. Je me dis qu’il faut en parler, mettre ça sur la place publique, soulever les problèmes. Sans vouloir faire du message. Je ne suis pas militante d’aucune façon. Certains me demandent : « Pourquoi tu ne fais pas des comédies populaires ? » Je ne sais pas si je pourrais investir cinq ans de bataille pour faire une comédie populaire.

Ça ne vaudrait pas la peine ?

Oui, ça vaut la peine ! Quand tu vois plein de monde devant ton film, c’est gratifiant. Et j’adore les films populaires. Un film populaire réussi, c’est formidable. Je suis très, très grand public.

Tu le disais : l’indignation est un moteur pour toi. La colère et la révolte aussi…

Depuis longtemps, hélas ! Je suis une perpétuelle insurgée. Ça remonte à très loin. Je n’ai aucun mérite. Ce n’est pas une posture. J’ai failli perdre ma première job en animation parce que j’ai proposé qu’on se syndique. Sans vraiment savoir de quoi il s’agissait. Je trouvais qu’on nous faisait travailler de façon abusive. J’avais 22 ans. J’étais innocente. J’ai gardé cette innocence-là. Quand quelque chose ne marche pas, il faut le dire et essayer de le changer. Pas le subir et se rasseoir. C’est ancré en moi.

Est-ce que ça t’a nui d’être aussi révoltée ? Crains-tu de devenir une caricature ?

Dans à peu près toutes les imitations qu’on fait de moi, il y a cet élément-là. On rit de moi un peu, mais c’est de bonne guerre. Le sens de l’autodérision, je l’ai profondément. Ça ne me dérange pas outre mesure. Je ne voudrais pas qu’on ne me prenne pas au sérieux.

C’est la ligne à ne pas franchir…

Je veux bien rire avec tout le monde, mais il y a quand même quelque chose que je tente de dire. C’est sûr que ce n’est pas tout le monde qui veut l’entendre et je ne forcerai certainement personne à voir mes films. Quand une fille chiale, c’est une chipie… (rires) Il y a un peu de ça qui joue à mon égard.

D’être une femme et de porter une parole forte ?

Et d’avoir une vision sociale des choses. Une forme d’engagement. Qui est extrêmement relative quand je regarde des gens qui s’occupent de la Mission Old Brewery ou de l’Accueil Bonneau et pour qui j’ai une admiration sans bornes. Ce sont des gens, pour moi, profondément engagés. À mon niveau, je ne peux pas espérer faire grand-chose. Mais si ça peut faire une toute petite différence, je me sens justifiée de le faire. Je trouve qu’on est dans une société qui n’encourage pas la différence, la dissidence et la manifestation. On épuise les gens. On les confond avec de la désinformation, un abus d’informations de toutes sortes, un abus d’opinions. Les gens sont fatigués. Après une journée de travail, ils n’ont pas nécessairement la force ou l’énergie de s’opposer au discours dominant. Si on peut le faire, nous, les artistes, dans notre petite sphère, c’est un privilège qu’on doit se donner. Quand on n’est pas d’accord, il faut le dire.

Regrettes-tu d’avoir dit certaines choses ?

Ce n’est pas dans ma nature. Au contraire. J’ai plutôt l’idée d’en remettre, ce qui ne me sert pas tout le temps. J’ai déploré le fait que ça m’avait beaucoup desservi. Ça m’a souvent nui d’ouvrir ma grande trappe, de toutes sortes de façons, pour toutes sortes de raisons. Les gens de pouvoir sont un peu ambivalents vis-à-vis de moi. Mais j’ai le réflexe d’en rajouter. Si on m’embarquait dans un débat sur l’islamisme, il faudrait que je fasse attention.

Pourquoi ?

Parce que ma nature, c’est de provoquer. C’est un débat duquel je me tiens à l’écart. Parce que je ne saurais pas me taire. C’est un débat tellement émotif et volatil. On a affaire à des gens radicalisés. Il faut faire attention. Je ne voudrais pas qu’on m’instrumentalise dans ce débat-là. Ce serait trop facile.

Les gens ne vont peut-être pas voir tes films ou te reprochent tes opinions, mais ils t’adorent pour ton rôle dans Unité 9. Tu es une vedette populaire.

Je suis aimée !

Ça t’amuse, ce paradoxe, avec ton regard lucide ?

Ça me touche beaucoup. C’est éphémère, c’est fugitif, mais le temps que ça dure, j’en tire un énorme bénéfice. Quand les gens m’arrêtent dans la rue et m’embrassent, je trouve cela absolument fabuleux. Je comprends les artistes populaires qui sont adorés, comme Guylaine Tremblay, d’être accros à ça. C’est formidable. En même temps, quand le personnage va disparaître, je vais peut-être disparaître aussi ! (rires)

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